Premier à franchir la ligne d’arrivée de la troisième étape de la Solitaire du Figaro Eric Bompard Cachemire, au terme d’un duel palpitant avec Charlie Dalin, Yann Eliès décroche sa dixième victoire d’étape. Il égale ainsi le record de Jean Le Cam, dit le «Roi Jean», qui le faisait rêver étant enfant. Arrivé à 10h11, avec 33 secondes d’avance sur son poursuivant, le skipper de Groupe Quéguiner- Leucémie Espoir s’est offert un sans faute sur le parcours de 400 milles qui a conduit la flotte de Concarneau à Torbay. Au-delà de cette dixième couronne, le briochin met une option sur la victoire finale et le triplé dont son démâtage l’a privé l’an dernier.
Une dixième étape et le général dans le viseur !
Plus que jamais leader du classement général, Yann compte 22 minutes et 26 secondes d’avance sur Charlie Dalin son nouveau dauphin. Xavier Macaire, qui accusait seulement quatre minutes de retard au départ de Concarneau est relayé à 57 minutes dans son tableau arrière. De bon augure avant de rejoindre Dieppe où se jouera le dénouement de cette 46e édition.
Yann, vous disiez vouloir en «claquer une» en quittant Concarneau. C’est fait, et c’est celle qu’il fallait gagner ?
« C’est l’étape qui façonne le classement général de cette Solitaire. La première en avait dessiné les contours, et j’ai l’impression que celle-ci va avoir toute son importance pour le classement final. On mérite nos places avec Charlie, car on a bien navigué. Mais on ne méritait pas forcément de passer avec autant d’avance sur nos concurrents. On n’avait pas imaginé faire autant de dégâts sur le reste de la flotte. La victoire est belle, mais il ne faut pas fanfaronner. Il faut rester humble, car les écarts sont un peu sévères ».
Vous voulez dire que vous êtes passé au bon moment, et que la porte s’est refermée derrière vous ?
« Exactement. J’ai commencé à le sentir juste avant d’arriver à Wolf Rock. Je me suis dit que certains n’étaient pas très bien placés sur la route, et que ça allait nous permettre de faire un bon break. Vingt minutes après notre passage, Xavier Macaire et deux ou trois bateaux sont passés, puis le passage à niveau s’est refermé. C’était comme d’entendre: «Allez hop, terminus ! Prochain arrêt dans une heure… ». Et ça a été comme ça à chaque fois qu’il y a eu un changement de vent ou une renverse de courant. Nous avons été assez privilégiés. »
Vous disiez qu’il fallait faire une course parfaite pour aller chercher cette dixième victoire d’étape … C’est votre sentiment sur ce parcours ?
« C’est la course presque parfaite. Elle l’aurait été si j’étais arrivé avec vingt minutes d’avance sur Charlie. Là, je n’ai que 33 secondes de marge. On va dire que c’est une belle étape ».
Ca s’est joué à pas grand chose avec Charlie. Vous avez bien cru vous faire croquer. Où avez- vous fait la différence ?
« J’ai fait la différence dans la dorsale. J’étais plus à l’aise que lui dans les transitions et les situations difficiles, où il faut faire avancer le bateau avec très peu de vent. C’est là que je l’ai doublé. Après, j’ai bien cru qu’il allait repasser devant ce matin, car j’ai voulu faire de la tactique en contrôlant Xavier Macaire. J’avais peur qu’il revienne, et au lieu d’attaquer, je me suis mis à protéger mes arrières. J’ai perdu du terrain et j’ai cru que Charlie allait en profiter, mais il n’a pas saisi cette opportunité ».
Il y a eu votre passage en tête au phare de Wolf Rock, où vous avez pris une belle revanche sur l’an dernier, puis cette victoire qui vous permet d’égaler le record de Jean le Cam. Qu’est ce que ça représente pour vous ?
« C’est super sympa de rejoindre Jean le Cam. Moi, quand j’étais gamin, c’était le Roi Jean. C’était un monument de la voile. Ce surnom, il l’avait eu parce qu’il était capable de signer des remontées fantastiques, et parce qu’il était beau à voir sur l’eau. On avait le sentiment qu’il faisait voler son bateau… Et aujourd’hui, des jeunes comme Sébastien Simon me disent : «C’est incroyable, nous avons le même bateau, mais toi, on a l'impression que tu le fais voler.» Ces jeunes, ils me regardent comme je regardais Jean quand j’étais petit. Et ça me fait plaisir ».
Charlie reste potentiellement dangereux mais vous mettez une belle option sur la victoire finale ?
« Je prends une sérieuse option sur la première ou la deuxième place, mais je n’ai aucune garantie quant à la victoire finale. Tout reste à faire. Je n’ai que vingt-deux minutes d’avance sur Charlie. Même si c’est bien de les avoir en positif, ça n’est pas suffisant pour être serein. J’aurais préféré avoir le double, pour ne pas avoir à compter les secondes et à stresser jusqu’au bout. Là, je n’aurai pas d’autre choix que d’attaquer, ce sera la meilleure stratégie ».
On disait que cette étape serait extrêmement tactique et difficile. Hormis votre bagarre avec Charlie, on a le sentiment que ça s’est bien enchainé et que vous n’êtes pas trop fatigué.
« Je ne vais pas dire que j’ai trouvé ça facile, mais ça s’est déroulé de façon assez limpide et assez rapide par rapport à ce qui était prévu. On avait le sentiment d’être sur un nuage, en état de grâce. C’est un vrai plaisir quand on navigue en tête, dans des conditions idéales, que tout fonctionne bien, et que l’on sent qu’on creuse l’écart. Je suis content de ce résultat et content d’être arrivé. Surtout que cette fois, on va pouvoir profiter de quatre nuits de sommeil, et passer une petite soirée avec les copains pour discuter. Ca va être super sympa ».
Joint par téléphone Jean Le Cam a réagi à la victoire de Yann qui égale donc son record de dix victoire d’étapes sur la Reine des Solitaires :
« Tous les records sont faits pour être battus ! Je suis très fier et très content pour Yann, qui égalise aujourd’hui mon record de dix victoires d’étapes. Je surveille son parcours sur la Solitaire depuis qu'il est tout jeune, et je trouve qu’il a eu une grande capacité d’adaptation. Il a toujours été dans le bon tempo, il a su être présent dans les phases importantes de la course. Pour arriver à ce niveau là, il faut de la réussite évidemment, mais aussi une grande connaissance de la course, de son bateau et de ses adversaires … Yann à tout ce qu’il faut pour décrocher des victoires, la preuve ! Il ne lui manque désormais plus que trois victoires au général pour être vraiment à égalité avec moi … (rire) »