Après avoir essuyé une deuxième grosse dépression, avec, à la clé, plus de 50 nœuds de vent et des creux de 6-8 mètres, au sud de la Tasmanie, Yann Eliès retrouve des conditions un peu plus maniables, ce mardi. Reste que ça souffle encore fort sur sa zone de navigation et qu’il n’est, dans l’immédiat, pas question de relâcher la pression, surtout que dans les heures qui viennent, l’état de la mer pourrait bien se détériorer encore un peu. Quoi qu’il en soit, le sentiment de soulagement est palpable, aujourd’hui, chez le skipper de Quéguiner – Leucémie Espoir qui peut se satisfaire, dans la bataille, d’avoir réussi à préserver sa monture et d’avoir refait le « break » sur Jean-Pierre Dick, même si Jean Le Cam est, lui, bien revenu sur son tableau arrière. Interview.
Yann Eliès : « A un moment, je n’en menais pas large »
Pouvez-vous nous raconter ce que vous avez traversé ?
« Lorsque je suis sorti du centre de la dépression, il y a 36-48 heures, le vent n’était pas encore trop fort mais à un moment donné, il y a eu un gros grain à plus de 50 nœuds. Là, j’ai commencé à avoir peur et j’ai fait le choix de me mettre à la cape. Je suis resté comme ça un moment mais quand j’ai vu que Jean (Le Cam, ndlr) continuait à avancer, je me suis dit qu’il fallait que je remette du charbon. Depuis, je compose avec 40 nœuds moyens et des grains assez violents, mais surtout une mer formée. Ce matin, je me suis fait coucher par une vague. Ça m’a stressé un peu car selon les fichiers, je n’ai pas encore traversé le plus gros de la houle. Reste qu’étonnement, depuis peu, le vent a commencé à mollir et la mer s’est arrêté de grossir. Je pense donc avoir passé le plus gros. »
Vous, Jean-Pierre Dick et Jean Le Cam avez été confronté à cette grosse tempête. Vous avez, cependant, tous les trois, adopté des stratégies différentes pour la négocier…
« Nous avons effectivement eu trois stratégies différentes mais c’est pour la simple et bonne raison que nous avions tous des placements différents à son arrivée. Il ne faut pas oublier qu’il y avait 100 milles d’écart entre Jean-Pierre et moi, et 300 entre lui et Jean. Dans la situation, c’est moi, devant, qui avait le plus à craindre des conditions. Le seul regret que j’ai, c’est de m’être laissé influencer par les organisateurs qui voyaient plus de vent au sud, et donc de ne pas y être resté. De fait, si je n’avais pas fait ce crochet par le nord, ça se serait sans doute mieux passé. Au final, je me suis mis à la cape avec l’idée de ralentir pour éviter le noyau de mer hyper dur que les fichiers annoncent pour la nuit prochaine. Il ne faut pas se tromper, ce qui m’inquiète le plus, ce n’est pas le vent mais l’état de la mer. Ce que j’ai actuellement me rappelle un peu ce que j’ai connu à bord d’Orange, en 2002, lors du Trophée Jules Verne. Le truc, c’est que là, je le vis sur un bateau plus petit et que c’est d’autant plus impressionnant. Avec un 60 pieds IMOCA, c’est vraiment compliqué de dépasser les 6-7 mètres de creux car après, le risque de se faire chavirer et de faire un 360° devient important. Forcément, si ça vient à se produire, ça engendre de gros dégâts. Ce matin, je me suis simplement fait couché et déjà, c’était impressionnant. Dans les 5-6 heures qui viennent, je vais donc continuer d’y aller « piano » et je renverrai de la toile ensuite. »
Vous n’êtes pas complètement sorti d’affaire mais on vous sent toutefois soulagé…
« Oui, c’est le cas. A un moment, je n’en menais pas large. J’ai même eu peur, je l’avoue, car quand on voit les éléments qui se déchaînent comme ça autour de soi et augmenter régulièrement en force et en puissance, on se sent vraiment tout petit. A présent, je l’ai dit, je pense avoir passé le plus gros. Depuis quelques heures, je me sens donc mieux, même si ce n’est pas encore complètement fini. »